Carnet de pain et billet de logement
Fragments d’un quotidien1
Ces dernières années, les commémorations dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre furent l’occasion de rappeler le rôle joué par la position fortifiée de Namur et ses neuf forts, de rendre hommage aux civils massacrés par les troupes allemandes et de donner un coup de fraîcheur aux monuments aux morts, qui commémorent le souvenir des soldats, mais aussi celui des souffrances des civils et des malheurs de l’occupation.
Deux documents, dénichés dans une brocante, offrent un fragment du quotidien d’un Jambois durant la guerre : Charles Malengreau, propriétaire rentier. Né à Trélon (France, département du Nord) en 1861, Charles Malengreau s’était installé à Jambes avec son épouse et son fils aîné en 1892. Trois autres enfants voient par la suite le jour à Jambes.
On découvre dans ces « vieux papiers » un Carnet de famille, réglementant la consommation de pain durant la guerre.
C’est à travers ce type de documents, ainsi que des ordonnances de l’administration, que l’on mesure l’état de pauvreté alimentaire de la population des villes durant la Guerre, fussent-elles comme Namur ou Jambes entourées de cultures maraîchères et de campagnes.
Le ravitaillement était une des principales préoccupations des administrations communales et allemandes dans les zones du gouvernement général. L’abandon de nombreuses fermes et terres avait créé un déficit d’approvisionnement. Les prix flambèrent. Un marché noir se développa. Les biens de première nécessité firent dès lors l’objet d’un rationnement.
En matière de pain, la consommation était limitée à 333 grammes de pain par personne, que ce soit à Jambes, à Namur ou à Saint-Servais. Le rationnement se faisait par période de 10 jours. Chaque ménage avait donc droit, pendant cette période, à dix fois la quantité qui lui était régulièrement allouée par jour. Il ne pouvait la réclamer en une fois, et ne pouvait reporter sur la période suivante ce qui n’aurait pas été réclamé.
Le ménage Malengreau, composé de 6 personnes, pouvait donc prétendre à deux kilogrammes de pain par jour, soit 20 kg par période. Une quantité qui sera revue à la baisse suite au décès de Madame Malengreau en 1915.
L’approvisionnement en pain se faisait chez un boulanger choisi, qui signait le carnet à chaque achat, de manière à ne pas dépasser les quantités règlementaires. Pour protéger le consommateur, le prix du pain était limité par les autorités communales à 48 centimes le kilo.
Le second « papier » est un Billet de logement, remontant au 15 octobre 1918.
La Guerre touche alors à sa fin. « Enfin la paix ! », s’exclamaient les deux journaux namurois (L’Ami de l’Ordre et l’Echo de Sambre et Meuse) durant tout le mois d’octobre 1918.
On attendait la libération, le départ des troupes allemandes.
En attendant, il fallait encore loger ces soldats. C’était le cas depuis le début de la Guerre. Toutes les maisons vides ou comprenant des étages inoccupés ou encore des chambres de servante (chaque maison bourgeoise en possédait au moins une au deuxième étage) devaient loger des officiers ou des sous-officiers.
Charles Malengreau dut donc, à la mi-octobre 1918, accueillir dans sa demeure de la rue de Dave deux officiers et trois soldats, sur ordre du bourgmestre.
Fiona Lebecque,
Présidente-Conservatrice
du Centre d’Archéologie,
d’Art et d’Histoire de Jambes
Notes :
1. Ce court commentaire a été rédigé avec le support des ouvrages et articles suivants :
O. Maréchal-Perouse, Chronique de la Première Guerre mondiale, dans Le Guetteur Wallon, Namur, 1997-4.
O. Maréchal-Perouse, Chronique de la Première Guerre mondiale (suite et fin), dans Le Guetteur Wallon, Namur, 1998-4.
E. Bodart, M.-C. Claes et A. Tixhon, Namur à l’heure allemande. 1914-1918. La vie quotidienne des Namurois sous l’occupation, Namur, 2011.
La province de Namur au cœur de la Grande Guerre, éd. Province de Namur, Namur, 2013.