CHAPITRE I : Origine, aspects et rôles du pont de Meuse
2. L’importance du pont de Meuse au Moyen-Age
b. Le pont comme lieu de justice
Second rôle à être abordé dans l’histoire du pont de Jambes : le pont comme lieu de justice.
Bien des différends ont opposé le Comte de Namur – devenu avoué de Jambes dès le XIIIe siècle – et le Prince-évêque de Liège : chacun s’efforçait d’accroître ses droits et prérogatives. Dans le livre des cens de 1289, les privilèges respectifs de ces deux autorités ont été établis minutieusement. Le ressort de leur juridiction en matière criminelle, tant sur le pont que sur le fleuve, y est notamment délimité avec exactitude.
Ainsi, nous savons que tant que le bandit se trouvait sur le lieu de ses méfaits, la justice du lieu autorisait donc à le poursuivre et l’arrêter. Le fait devait toutefois être signalé à l’autorité voisine. Mais dans le cas où le coupable d’un méfait s’enfuyait sur l’autre rive, le maïeur et ses échevins, jouant le rôle de plaignants, rencontraient les autorités correspondantes de l’autre commune « sur le pont de Moeze delà le berfroit pour faire justice », et après délibération, la remise du prisonnier s’effectuait devant la Tour de Beauregard.
La précision avec laquelle le censier de 1289 délimite la « frontière » aquatique des deux communes rend les procès fort pittoresques et fait de la Tour de Beauregard, en tant que lieu d’échanges de prisonniers entre les deux échevinages de Namur et Jambes, un véritable théâtre d’affaires juridiques.
Ces lois étant restées en pratique fort longtemps, les Archives de l’Etat à Namur nous livrent le compte rendu d’un procès passé devant le Conseil Provincial au début du XVIIe siècle [5]. La loi y est rappelée non sans une note plutôt cocasse : il y est « recogneu et justifiez… que l’officier dudit Jambes peult faire poursuivre, arrester et retenir quelque délinquant et aultre personne en la propre rivière de Meuse du costel dudit Jambes, tant et si avant que la profondeur de ladite rivière n’excède la hauteur de l’homme, remonstrant par cela que la jurisdiction dudit Jambes s’extend proprement en ladite rivière sy avant qu’un homme peult entrer et marcher ».
Vu sous un angle d’une autre densité, le pont de Meuse fut également le terrain d’exécutions criminelles. Puisque le jour où le coupable était découvert, il était arrêté, condamné et tout bonnement précipité dans la Meuse du haut du pont. Jules Borgnet nous rapporte ce fait en le jugeant pour sa part d’« expéditif et peu coûteux » [6]…
Enfin, au XVIe siècle, la tour est encore utilisée comme prison, sans doute pour faciliter la remise des criminels par la cour de Jambes – où la haute justice est détenue par le Prince-évêque – à l’échevinage de Namur.
Notes :
5. COURTOY F. (1957). De la Tour de Beauregard aux « Dames » du Pont de Meuse à Namur. Namurcum, T. 31 (3), 42.
6. BORGNET J. (1851-1859). Promenades dans Namur. Namur : Wesmael-Legros, 150..