Le sculpteur-médailleur Pierre de Soete
Soixante ans après la libération des camps de concentration de nombreuses manifestations se sont déroulées en Europe et particulièrement en Pologne. Tout le monde s’accorde à dire « plus jamais ça ». Pourtant, on déplore chaque jour encore sur la planète des arrestations arbitraires, des séquestrations, des tortures, en réalité une suite ininterrompue d’actes contraires aux droits de l’homme.
Jambes (Jambe à l’époque) a connu son lot de souffrances. Des Jambois ont été déportés dans les camps nazis et certains ne reverront malheureusement jamais leur cité mosane.
Une plaquette en bronze, œuvre de l’artiste Pierre de Soete (1886-1948), commémore la libération des camps nazis.
L’artiste1
Pierre de Soete vient au monde à Molenbeek-Saint-Jean en 1886. À l’âge de 14 ans, il perd ses parents. Il suit les cours de dessin à l’Académie de Molenbeek. En autodidacte, il apprend le modelage. Grâce à sa force de caractère et à son travail opiniâtre, il devient ciseleur à la Compagnie des Bronzes2 à Molenbeek. C’est pour lui l’occasion de faire la connaissance de grands sculpteurs tels Julien Dillens, Jef Lambeaux et Constantin Meunier. À partir de 1914, il se consacre pleinement à la sculpture. Les commandes se succèdent : monuments, portaits, décors muraux, médailles.
Après la Première Guerre mondiale, il crée pour la façade de la nouvelle bibliothèque de l’Université de Louvain une balustrade de 60 m de long et une statue de Notre-Dame de la Victoire piétinant l’aigle germanique3. Sur la balustrade devait figurer l’inscription FVRORE TEUTONICO DIRVTA, DONO AMERICANO (anéantie par la violence teutone, reconstruite par les dons américains). Le recteur de l’époque, Paulin Ladeuze (1870-1940), juge ce texte trop anti-allemand et donc peu diplomatique car le souhait est de renouer contact avec les universités allemandes. Cela engendre des conflits avec l’architecte Whitney Warren (1864-1943), le sculpteur Pierre de Soete (1886-1948) et les autorités académiques. Les concepteurs souhaitent que soit maintenu le projet initial et cela entraîne inévitablement polémiques et même procès. P. de Soete est arrêté par la police de Louvain car il refuse de stopper le déchargement des lettres litigieuses à la veille de l’inauguration officielle4. Les cinq dernières lettres du mot Restituta restent à Louvain et sont placées le 2 juillet 2003 dans le Torenhof faisant partie de la bibliothèque universitaire5. Par ailleurs, en 1936, les deux premiers mots Feurore teutonico sont placés dans un monument aux morts de Dinant. Cependant, en mai 1940, les soldats allemands le font sauter.
P. de Soete réalise ses œuvres dans divers matériaux : plâtre, bronze, marbre, bois, ivoire. Son praticien est un certain Mr Van Hoof. Bien qu’étant un ancien de la Compagnie des Bronzes, il fait couler ses œuvres chez L. et H. Batardy à Bruxelles.
P. de Soete est l’auteur du Monument aux victimes de l’air 14-18 érigé à la Porte Louise à Bruxelles en 1926 et du Monument au Maréchal Foch à Spa. En-dehors des sujets plus officiels, il réalise des œuvres d’inspiration plus libre consacrées au sport, à la danse, à la maternité, …
Ses sculptures et médailles sont évidemment exposées en Belgique, e.a. aux Musées royaux d’Art et d’Histoire, au Musée royal de l’Armée, au Cabinet des médailles de Bruxelles, au Musée diocésain de Malines mais aussi à l’étranger, notamment au Musée de Riga, au Metropolitan Museum de New York.
La plaquette
L’artiste représente à l’avers un prisonnier, très affaibli, derrière une clôture de barbelés, portant un fardeau sur le dos et se dirigeant vers la gauche. Une tête de militaire, coiffée d’un calot à floche, reste impassible derrière cette même clôture pendant qu’un autre homme en bras de chemise s’approche avec des éléments dentés entre les mains (évocation du travail obligatoire). Au-dessus à droite : une main tient une couronne de laurier en signe de victoire. À l’exergue, on peut lire la mention suivante : JAMBE / RECONNAISSANTE / AUX MEILLEURS DE SES ENFANTS / 1940-1945. Au-dessus de la ligne d’exergue apparaît la signature de l’artiste : P. de Soete, en creux.
Au revers, l’artiste a silhouetté une jambe écrasant l’aigle allemand et la croix gammée. À l’arrière-plan, on distingue le pont de Jambes et la citadelle de Namur.
La plaquette a été frappée en bronze en 1945 ou dans les années qui suivent puisque l’artiste décède en 1948. Elle mesure 73,5 x 52 mm (ép. 5,65 mm) et pèse 125,31 g. Les bas-reliefs préparatoires à la plaquette mesurent 38,4 x 27 cm et sont conservés à la salle des anciens combattants de Jambes.
Jacques Toussaint,
Président du Centre d’Archéologie, d’Art et
d’Histoire de Jambes
Notes
1. Rétrospective Pierre De Soete, Bruxelles, 1950; P. de Soete, En plein bloc. Mémoires, Bruxelles, 1953 ; Engelen-Marx, Beeldhouwkunst in België vanaf 1830, deel I : A-D, Algemeen rijksarhief en rijksarhief in de provincien, studia 90, Bruxelles, 2002, pp. 530-535.
2. Engelen-Marx, Compagnie des bronzes, Archief in beeld, Algemeen rijksarchief in rijksarchief in de provincien, Educatieve dienst catalogus 172, Bruxelles, 2002; La Compagnie des Bronzes (1854>1979) Fabrique d’Art, Bruxelles, La Fonderie, 2003.
3. P. De Soete, Les incidents de Louvain. Furore teutonico … Ses origines et ses polémiques. Le droit artistique et spirituel. 1914-1929, s.l., (1929).
4. Voir Stadtsarchief Leuven, Dagelijkse gebeurtenissen van 15-2-28 tot 9-9-29; Stadtsarchief Leuven, Bouwdossier Universiteitsbibliotheek; La Nation belge, 24 juin 1928; Les Nouvelles, 26 juin 1928.
5. Het Laatste Nieuws, 17-18 juin 1978.