Colmatage des fissures de la pierre au plâtre
Application de la colle epoxyde via un entonnoir
Détail des entonnoirs
Nettoyage de la pierre après collage
La résurrection d’une croix d’occis 1
Fin juin 2023, il faisait beau de bon matin, et un spectacle particulier s’offrait pour une semaine au regard curieux des passants : un homme s’était installé au chevet de la croix d’occis de la Montagne Sainte-Barbe, entouré d’une quantité de matériel invraisemblable et des plus diversifié : chaise de bureau, coussins, couvertures, tetra packs, journaux, bidons, chiffons, seringues, … Cet homme humble et discret n’était pas n’importe qui : il s’appelle Pierre Boreux, travaille la pierre depuis ses 15 ans, comme sculpteur en taille directe avant tout, mais également en tant que restaurateur depuis une trentaine d’années. Et cette fois, c’était pour prolonger la vie de cette croix d’occis qu’il a sorti son matériel.
Car la croix, pourtant en pierre, est fragile. Le calcaire de Meuse dans lequel elle a été taillée au 19e siècle présente de nombreuses microfissures, soit liées au gisement dont elle a été extraite, soit à la méthode utilisée pour son extraction. Ces microfissures délitées s’accentuent au fil des ans sous l’action conjointe, successive et répétée de la pluie et du gel. Avant son intervention de restauration, commandée par la Ville de Namur et son échevin du Patrimoine Tanguy Auspert, P. Boreux a réalisé plusieurs essais sur un calcaire de Meuse similaire, afin de vérifier ce qu’il était possible, ou non, de faire. L’objectif était de colmater les entrées par lesquelles l’humidité pouvait pénétrer dans la pierre, afin d’augmenter la durée de la vie de la croix, tout en évitant d’y incorporer des matériaux étrangers (du type brochage en métal). Une intervention ainsi limitée rend possible sa réversibilité dans le cadre d’une éventuelle future opération.
En juin, lorsque les conditions météorologiques sont réunies pour la mise en œuvre de la colle époxyde à utiliser (à savoir plus de 18°C et un temps sec), le chantier peut débuter.
Les premières étapes consistent dans le démoussage, un bon nettoyage à l’eau claire et enfin le séchage complet de la pierre.
Ensuite commence la partie technique, dont la description peut difficilement traduire le savoir-faire de l’artisan spécialisé.
Pierre Boreux prépare la croix en colmatant les fissures les plus importantes à l’aide de papier journal (voire de tissu) trempé dans du plâtre. Ce colmatage est nécessaire pour canaliser la colle qui sera utilisée. Mais comme le plâtre risquerait de laisser de nombreux résidus emprisonnés à la surface de la colle, ce qui donnerait au résultat un aspect inesthétique, le restaurateur applique directement sur la pierre, avant toute autre chose, une fine couche d’argile totalement soluble dans l’eau.
La colle époxyde, fluide, est appliquée à la petite spatule ou encore à l’entonnoir au sein des microfissures. Elle pénètre la pierre par capillarité, sur une hauteur d’une dizaine de centimètres (puisque la pierre a été mise en œuvre en délit, c’est-à-dire avec les laminations à la verticale). Il faut donc étager l’action, en appliquant la colle à intervalles réguliers sur toute la hauteur de la croix. Il n’est par contre pas possible pour le restaurateur de maîtriser la profondeur à laquelle la colle s’infiltrera dans la pierre, même si, en l’occurrence, cette profondeur devrait être d’environ deux centimètres. Ce processus est long : il faut en effet laisser le temps à la pierre d’absorber la colle avant de recommencer l’application.
Une fois sèche, la colle donne l’impression que la surface de la pierre est humide, car brillante. Le restaurateur cherche alors à unifier l’aspect visuel de la croix en nettoyant au maximum à l’acétone les surfaces le long des fissures, mais également en éclaircissant autant que possible le fil d’époxyde. Si l’intervention de Pierre Boreux reste visible, elle ne perturbe pas le regard de ceux qui contemplent aujourd’hui la croix d’occis de la Montagne Sainte-Barbe.
Prochainement, la croix d’occis recevra une couverture métallique qui la protégera mieux encore de la pluie. Ce sera la dernière étape de la démarche de sauvegarde de cette « simple croix de pierre », qui aura été un témoignage supplémentaire des nombreuses preuves d’attachement de la population au petit patrimoine populaire.
Note :
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Merci à Pierre Boreux, restaurateur, pour ses patientes et passionnantes explications. Pour en savoir plus sur cette croix, voir l’article Une croix d’occis bien…usée dans Côté n° 119, 4T, 2022