La Tour d’Anhaive

Anhaive est une petite seigneurie à vocation rurale appartenant à l’origine à l’évêque de Liège, Jean de Flandre, qui s’y établit régulièrement de 1285 jusqu’à son décès le 14 octobre 1291. Le prélat se rendait à la Tour grâce à un bateau car sa santé fragile ne l’autorisait pas à voyager à cheval. Le domaine reste la propriété de l’évêque de Liège, qui en tire des revenus, jusqu’au XIVe siècle lorsque la seigneurie est achetée par un bourgeois de Namur.

Marchandise, A., Un prince en faillite. Jean de Flandre, évêque de Metz (1279/1280-1282), puis de Liège (1282-1291), dans Bulletin de la Commission royale d’Histoire, n° 163, 1997, p. 13.

La tour carrée en calcaire de Meuse, autrefois entourée de douves, remonte au Bas Moyen Âge. Le type de maçonnerie indique deux étapes de construction. Les deux premiers niveaux remontent à l’origine de la construction. Le troisième niveau est à situer vers la fin du XVe siècle. La toiture à la Mansart date quant à elle du XVIIIe siècle. Le rez-de-chaussée, couvert d’un plancher bas, est occupé par le cellier. Le premier étage est réservé aux activités de la vie quotidienne (cuisine, salle à manger). La chambre à coucher est installée au troisième niveau ou bel étage.

L’amélioration des conditions d’habitat veut que de nouvelles constructions s’érigent à proximité du vieux donjon. Une demeure plus confortable, aujourd’hui dégradée, est implantée à l’est vers 1535. Une ferme, établie au sud-est au XVIIIe siècle, est partiellement détruite en 1969.

L’intérieur de la tour et du logis seigneurial conserve de nombreux décors et traces de la vie quotidienne : cheminées gothiques aux montants finement sculptés de feuilles de plantain ou de buste humain, latrines en encorbellement, …

Le donjon est classé le 31 décembre 1943 et le logis le 12 juin 1981. La récente restauration entreprise sous la direction de la Fondation Roi Baudouin avec l’aide de la Division du Patrimoine de la Région wallonne et de la Commission royale des Monuments, Sites et Fouilles de la Région wallonne a sauvegardé et mis en valeur ce témoin majeur de l’architecture civile namuroise.

En 1995 la ville de Namur fit la cession à la Fondation roi Baudouin à charge d’en assurer la restauration. Ce qui fut fait certes avec une part de subsides, mais non sans un coût net pour la Fondation.

Actuellement, la Fondation, propriétaire des lieux, met partiellement le bâtiment à disposition du Syndicat d’Initiative de Jambes et de son Centre d’Archéologie, d’Art et d’Histoire de Jambes.

Jean de Flandre

Esterlin de Jean de Flandre frappé
entre 1282 et 1291
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Jean de Flandre est né en 1250 du mariage de Guy de Dampierre (1278-1305), comte de Flandre et de Namur, et de sa première épouse Mahaut de Béthune. Dès le départ, Guy de Dampierre a des ambitions pour son troisième fils qu’il destine à une carrière ecclésiastique.

 De la formation de Jean de Flandre, on sait peu de choses si ce n’est qu’il est licencié en droit canon à l’Université de Bologne vers 1268. Malgré ses études, il est tout de même actif au sein de l’Eglise car il reçoit des revenus et dignités de fonctions ecclésiastiques, avec notamment la prévôté de Saint-Donatien de Bruges qu’il obtient dès l’âge de 12 ans. En 1279/80, il est nommé évêque de Metz jusqu’à ce qu’il soit désigné prince-évêque de Liège par le pape Martin IV (1281-1285). Ce dernier avait été sollicité suite aux contestations entre les deux candidats pour ce poste : Bouchard d’Avesnes et Guillaume d’Auvergne. Guy de Dampierre profite de ces dissensions pour interférer en faveur de son fils Jean qui finit par être choisi comme successeur de l’évêque de Liège. Jean de Flandre devient ainsi le 43e évêque de Liège et fait son entrée dans la ville en octobre 1282. Pour que la papauté lui octroie le titre de prince-évêque de Liège, il dut payer des services à hauteur de 7200 florins, soit un tiers des revenus annuels qu’il pourrait en dégager (c. 21 600 florins, soit un des revenus ecclésiastiques les plus importants de cette époque).

A Liège, Jean de Flandre essaye de concilier le clergé de la ville avec les bourgeois pour éviter les querelles. Ses tentatives ne portèrent pas toujours leurs fruits car des contentieux avec la ville le forcèrent à s’exiler à Huy en 1284/85 et 1287. Il arrive finalement à régler les différends au travers de la Paix des Clercs (1287), qui sert de base à une sorte de code pénal pour les chanoines et les bourgeois, la Loi muée de 1287. Au niveau temporel, on remarque une certaine ambiguïté relationnelle entre Jean de Flandre et le duc Jean Ier de Brabant (1253-1294), son beau-frère. En effet, Jean de Flandre lui vient en aide en 1288 lors de la bataille de Worringen, ce qui n’empêche pas le duc de Brabant d’attaquer les terres liégeoises en faisant le siège de la forteresse de Comillon en 1291.

En 1289, survient un événement notable dans la vie de Jean de Flandre, à savoir son enlèvement. Durant six mois, il fut retenu en otage. Jean refuse de désigner ses ravisseurs, ce que rapporte Jean d’Outremeuse qui lui fait dire : « Se je les racussoy, je seroy parjure »[1]. Malgré ce voile de mystère sur son ravisseur, Jean de Hocsem et Jean d’Outremeuse supputent qu’il s’agirait d’Isabelle de Luxembourg, la seconde épouse de son père Guy de Dampierre. Celle-ci l’aurait enlevé pour se venger du fait que Jean avait confié des troupes au duc de Brabant lors de la bataille de Worringen de 1288, durant laquelle elle perdit ses quatre frères. Elle aurait fait enlever le prélat alors qu’il était en train de chasser dans les forêts de Bouillon et l’aurait fait retenir durant six mois dans un château. Il n’échappe à sa détention qu’après avoir versé « cent livres de gros »[2].

De 1285 à 1291, Jean de Flandre vient régulièrement séjourner dans la seigneurie d’Anhaive qui est une des propriétés du prince-évêque de Liège. Il s’y rendait en bateau car sa santé fragile – il était atteint de la gravelle[3] (à savoir une maladie qui provoque des calculs aux reins) – ne lui permettait pas de voyager à cheval. C’est dans cette seigneurie qu’il trouve la mort le 14 octobre 1291 : « Et l’evesque estoit mult [fort] malaide à Ahées [Anhaive] le castel, et là le destrendoit si fort le malaidie de la gravalle qu’ilh en morut »[4]. Son père, Guy de Dampierre assume toutes les dépenses liées à sa mort en ce y compris, l’acheminement du corps de Jean à l’abbaye de Flines en France.

[1] Borgnet, Ad (ed.), Le myreur des histors de Jean d’Outremeurse, t. 5, livre III, 1867, p. 472.

[2] Ibid, p. 472. Une livre compte 20 gros, l’évêque aurait donc déboursé 2000 gros tournois.

[3] Ibid, p. 475.

[4] Ibid, p. 479.

Ce texte a été réalisé grâce aux travaux qui suivent :

Bodart, E., La seigneurie d’Anhaive des origines à nos jours. Histoire de l’évolution d’une petite seigneurie rurale mosane du Moyen Âge au XXe siècle, dans La Seigneurie d’Anhaive à Jambes, ‎ 2005, p. 41-62.

Douxchamps-Lefèvre, C., La tour d’Anhaive et le fauxbourg de Jambes, dans dans La Seigneurie d’Anhaive à Jambes, ‎ 2005, p. 33-40.

Grandjean, J., Jean de Flandre (1282-1291) la principauté, http://principauteliege.byethost13.com/tome3/princes1/flandre1/?i=1

Lejeune, J., L’enlèvement de Jean de Flandre, évêque de Liège. Ou comment on écrit l’histoire et comment un droit se constitue, dans Anciens pays et Assemblées d’état, t. 3, 1952, p. 69-89.

Marchandise, A., Un prince en faillite. Jean de Flandre, évêque de Metz (1279/1280-1282), puis de Liège (1282-1291), dans Bulletin de la Commission royale d’Histoire, n° 163, 1997, p. 1-75.